Yves-Marie Laulan Paris le 19 juin 2014
Poutine heureux en amour ou en affaires ?
La France avait déjà connu la Mandelamania . La voici aujourd’hui plongée dans une extase similaire à propos du président russe, Vladimir Poutine, heureusement pour ce dernier, de son vivant et non après sa mort.
A dire vrai ce culte concerne surtout les « gens de droite », voire d’extrême droite, FN en tête, et guère les gens de gauche, ceux-ci étant peu enclins aux épanchements affectifs concernant la Russie, pays qu’ils regardent avec une certaine méfiance . Pensez donc ! Un pays où l’homosexualité n’est pas considérée comme une vertu cardinale pour la société et la famille et où on tendance à punir davantage les criminels que les victimes. Un monde à l’envers !
Comment expliquer cette bonne presse au profit d’un leader étranger somme tout fort lointain des préoccupations politiques françaises au quotidien ?
En premier lieu, les Jeux fastueux, incontestablement réussis, de Sotchi ont atteint leur but. Ils ont, sans conteste, fortement impressionné l’opinion publique mondiale désormais convaincue d’avoir affaire à une puissance restaurée dans sa grandeur et sa stabilité.
Rappelons-nous . Que n’avait-on dit sur ces Jeux , non sans quelque malice (du côté américain) ? Qu’ils était horriblement coûteux, 50 milliards de dollars , sinon plus, ce qui est vrai . Que cet argent aurait été mieux dépensé pour acheter des casseroles neuves ou des lessiveuses pour les ménagères russes, (enfin des investissements); ce qui est toujours vrai. Mais l’impact de ces achats ménagés, bien qu’incontestablement utiles, sur les médias mondiaux aurait été probablement plus modeste. On a aussi avancé qu’il y avait un risque sérieux d’ attentats terroristes. Or pas un acte criminel n’est venu perturber le bon déroulement de cette manifestation sportive. Pari gagné donc pour W. Poutine.
Au surplus l’homme a de quoi séduire par son charme personnel. Poutine porte beau , comme on disait autrefois des « Lions de salon » au XIX° siècle. Il faut bien reconnaître, même si notre orgueil national devait en souffrir, que son visage viril l’emporte largement sur la face molle et rougeaude, tavelée de verrues du président français. Au surplus, le kimono ceinturé d’une ceinture noire de judo, le président russe a fière allure, comme d’ailleurs torse nu et bronzé à cheval sur un étalon blanc comme on l’a vu de temps à autre.. Apparemment l’entraînement sportif sur les tatamis du KGB vaut largement celui des moquettes de la rue Solférino . L’homme sait soigner son image et doit faire rêver bien des Natachas russes, très sentimentales comme chacun sait, tout comme des Françaises sans doute, sinon l’entourage masculin de Marine Le Pen….
Mais il y a plus. Rappelons-nous l’adage bien connu : « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Car Poutine incarne à ravir tout ce que la droite déteste cordialement, et non sans quelques raisons, dans la France socialiste d’aujourd’hui veule, molle, avachie, déboussolée, accumulant les déboires et totalement incapable de gouverner convenablement le pays.
Or Poutine a su très habilement capter à son profit le renouveau de l’église orthodoxe en Russie qui connait une renaissance remarquable après des années d’oppression sous Staline. Pendant ce temps, notre Jacques Chirac, en bon laïcard bien obtus, -resté fidèle aux mânes du petit Père Combes de 1905-, refusait d’inscrire les racines chrétiennes de l’Europe dans la Constitution de l’Europe. En outre, dans une Europe en pleine débandade identitaire où les valeurs morales sont à la dérive, patriotisme au premier chef, la vision d’un homme d’ Etat qui célèbre la grandeur de son pays et des valeurs traditionnelles a quelque chose de fortement tonique.
Par ailleurs, Poutine est un maître de la gouvernance autoritaire de son pays . C’est le despote éclairé dans toute sa splendeur, celui dont aurait pu rêver Voltaire (qui appréciait, on le sait, l’hospitalité fastueuse de Frédéric II de Prusse au château du Sous Souci) .
Certes, les bonnes âmes scrupuleuses imbibées du respect des principes démocratiques gémiront devant la façon quelque peu cavalière, voire carrément désinvolte dont Poutine interprète l’alternance démocratique au pouvoir. La démocratie « à la russe » ressemble fort en effet à une comédie de boulevard avec deux personnages, Vladimir Poutine et le gentil Dmitri Medvedev qui jouent aimablement au « culbuto »[1] tous les cinq ans, l’un remplaçant l’autre à la tête du pays. Mais toujours le même, à savoir l’actuel président, conservant bien entendu l’intégralité du pouvoir, qu’il soit Président ou Premier ministre. Et ce petit jeu dure depuis une bonne quinzaine d’années.
Mais, après tout, si les Russes s’en déclarent satisfaits, c’est leur affaire. Devrions-nous nous déclarer plus royalistes que le roi ? Et d’ailleurs la démocratie en France est-elle vraiment respectée avec un parti, le FN, lequel obtient régulièrement plus de 25 % des suffrages à chaque consultation électorale mais pas plus deux députés à l’Assemblée nationale ? Alors, autant balayer devant notre pas de porte avant d’aller scruter la paille dans l’œil du voisin.
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Il faut dire aussi que Poutine est remarquablement avisé quand il s’agit de flatter l’opinion publique et notamment celle de ses amis de droite. La Voix de la Russie, organisme de propagande patenté, fait sans vergogne de la publicité en faveur de la Russie et influence une partie non négligeable du public français.
Bien mieux, Marine Le Pen a été reçue comme un chef d’Etat à Moscou ce qui n’a pas dû peu flatter l’orgueil d‘un leader politique en peu accoutumé à recevoir tant d’égards dans son propre pays [2].
En contraste, le malheureux Obama, le président américain, a fait bénéficier le président François Hollande d’une réception à grand spectacle à Washington, allant même jusqu’à lui accorder le rare privilège de s’adresser publiquement au Congrès américain, Sénat et Chambre réunis. S’agissant d’un leader plutôt minable et proprement décrié dans son propre pays, cet hommage appuyé a été perçu au mieux comme une maladresse incongrue voire même déplacée, preuve supplémentaire de la capacité de notre grand voisin et ami américain à accumuler les gaffes diplomatiques.
A cela s’ajoute le fait qu’une partie non négligeable de l’opinion publique en France conserve, au plus profond de son inconscient, une sorte de rancœur à l’encontre de l’Oncle Sam en général et des « Anglo-saxons » en particulier, Ils sont , en effet, perçus, telle naguères la « perfide Albion », comme l’ennemi héréditaire de notre pays, de Jeanne d’Arc à Fachoda. Le fastes de la célébration du Débarquement en Normande n’ont fait qu’effleurer, sans le faire disparaître le ressentiment profond qu’éprouvent encore aujourd’hui beaucoup de Français à l’encontre des Américains jugés trop riches, trop envahissants, trop puissants, bref, trop américains. Ce qui n’empêche nullement les jeunes Français de copier servilement toutes les modes venus d’Outre Atlantique . Quand même.
La Russie de W. Poutine offre donc un contrepoids bienvenu au vieux ressentiment français, ne serait-ce que parce que la présence russe en France demeure remarquablement discrète, en dépit des exploits des maffias russes sur le Côte d’Azur.
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Ceci étant, ce tableau idyllique comporte quand même des zones d’ombre. Dans leur enthousiasme les thuriféraires de Poutine sont allés jusqu’à célébrer comme un triomphe l’accord gazier conclu entre la Chine et la Russie portant sur la livraison pendant 30 ans de 400 milliards de m3. Cet accord a été interprété comme un pied de nez à l’Europe, pour la punir de ses états d’âme sur l’Ukraine, et un bras d’honneur à l’Amérique, et au dollar américain dont on annonce le déclin inévitable (depuis 60 ans quand même). Mais là il faut se demander si Poutine le géopoliticien sagace, n’a pas fait une fort mauvaise affaire au détriment de Poutine, l’économiste amateur.
Sur le papier l’affaire parait très satisfaisant. Dans la réalité, le tableau est peut-être moins plaisant. Il semblerait, en premier lieu, que la Russie ait dû accepter une forte décote sur le prix, fixé, en principe, à 350 dollars le baril en équivalent pétrole, mais probablement sensiblement en dessous du prix de marché.
Au surplus, ces livraisons seront payables en yuans et non en dollars comme il est de coutume en matière de commerce d‘ hydrocarbures. Mais cela signifie que la Russie, qu’elle le veuille ou non, devra acheter pendant 30 longues années des produits chinois au prix convenu dans l’accord gazier. Et cela quelles que soient les fluctuations du yuan dont on sait qu’il a tendance à valser, toujours à la baisse, au gré des autorités chinoises et de la conjoncture économique de la Chine.
Au total , les Russes seront littéralement pieds et poings liés, prisonniers de leurs acheteurs chinois. Cela rappelle étrangement la fameuse fable de Don Juan et de son tailleur. En premier lieu, pas question de se livrer avec un partenaire aussi redoutable au petit jeu favori de Gazprom : « je livre, je livre plus, je change le prix en cours de contrat, je réduis les approvisionnements » etc etc. La Russie a pu se livrer sans risques à ce petit jeu délicieux avec la malheureuse Ukraine . Mais avec la Chine, pas question . Ou gare à la casse.
Par ailleurs , avec le gaz de schiste, les experts nous disent que le prix du gaz naturel est inévitablement à baisser. Les Chinois vont- ils accepter de bon cœur de surpayer le gaz naturel russe pendant 30 ans ? Cette mansuétude chinoise serait bien surprenante.
Et puis qu’importer en masse de la Chine sur des volumes aussi colossaux ? Des tee-shirts en coton , des jouets pour enfants ou du riz bio ? Ce retour au bilatéralisme commercial après des décennies de multilatéralisme est un retour en arrière commercial comportant bien des inconvénients comme les Russe vont en faire surement l’expérience.
Il faut voir dans cette affaire le dédain du géopoliticien amateur de « coups » au détriment de l’optimum économique. Ce ne serait pas la première fois dans l’histoire de la Russie.
Au-delà de ce marché qui sera peut-être un « marché de dupes » du siècle, il faut se demander si ce rapprochement avec la Chine célébré à grand spectacle ne comporte pas des dangers dont le leader russe n’est peut-être pas très conscient. Comme le dit si bien l’adage bien connu, « lorsqu’on déjeune avec le diable, il faut se munir d’une longue cuillère ». Car, pour la Russie, le danger stratégique à long terme est bien la Chine voisine, et non la lointaine Amérique.
Car Il ne fait guère de doute qu’après avoir digéré le Tibet, ce à quoi s‘affaire la Chine pour le moment, c’est vers la Sibérie que va se tourner inévitablement le regard des Chinois en quête de nouveaux territoires à avaler. Ici la rivalité entre ces deux puissances est inscrite dans leur géographie. D’ailleurs une colonisation sournoise de la Sibérie par des colons chinois est déjà en cours, si l’on en croit certains témoignages. Jusqu’où cette invasion démographique ira-t-elle. ? L’avenir nous le dira.
En attendant, Poutine ferait bien de ne pas se satisfaire de « victoire »éphémère sur le rival américain. Peut-être se trompe-t-il de guerre et d’adversaire, comme Staline en 1938[3]. A long terme Poutine serait-il un si bon stratège que cela ?
[1] Jeu d’enfant divertissant où le jouet retombe toujours en place quel que soit la façon dont il tombe.
[2] Il est vrai que Gérard Depardieu en a reçu autant, ce qui est moins flatteur
[3] Il est fait évidemment ici au trop fameux pacte Molotov-Ribbentrop de 1938 qui a précédé de quelques années seulement l’invasion de l’Union soviétique par les troupes du Reich.